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Pulchérie Gbalet, militante de tous les combats en Côte d’Ivoire

C’est son dernier combat en date. Figure de la société civile ivoirienne emprisonnée à plusieurs reprises, Pulchérie Gbalet est désormais à la tête de la Coalition des victimes et des menacés de déguerpissements (Covimede-CI), une organisation créée pour défendre les habitants expulsés lors des destructions de quartiers précaires menées depuis février par les pouvoirs publics à Abidjan.
Mercredi 20 mars, devant une poignée de journalistes conviés dans une petite salle de réunion de la commune de Cocody, les représentants des populations délogées et de plusieurs organisations de la société civile ont qualifié la multiplication de ces « déguerpissements » de « paupérisation inconstitutionnelle programmée ». Un smartphone posé sur un trépied enregistre la conversation et la retransmet sur la page Facebook de la présidente de la nouvelle coalition, Pulchérie Gbalet, vêtue ce jour-là d’un tee-shirt barré du slogan « Faisons rayonner l’Afrique ».
Sociologue de formation et ancienne responsable syndicale au Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD), où elle a travaillé de 1998 à 2020, la militante de 51 ans a commencé à se faire connaître en 2016 en s’opposant publiquement à la nouvelle Constitution qui permet au président Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat. Quatre ans plus tard, à la tête d’Alternative citoyenne ivoirienne, une organisation de la société civile proche de l’opposition, elle appelle à manifester pacifiquement à quelques semaines de l’élection où concourt finalement Alassane Ouattara.
Elle est arrêtée dans la nuit du 15 au 16 août 2020 et incarcérée pendant huit mois à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). « J’ai vécu ma détention dans la réflexion pour mieux m’engager, relate-t-elle aujourd’hui. D’autant plus que j’ai été abusivement licenciée dans la foulée de mon arrestation. Il me fallait donc réorganiser ma vie professionnelle autour de la lutte citoyenne. » C’est à cette période qu’apparaît le hashtag #FreePulchérie, qui mobilise des centaines d’internautes sur les réseaux sociaux, tandis que les chefs de file des deux principaux partis d’opposition, les anciens présidents Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, réclament sa libération. Sur Facebook, YouTube et TikTok, sa notoriété grandit avec « Les Mardis de Pulchérie Gbalet », sa tribune hebdomadaire.
Mais elle commet, en 2022, l’erreur de se rendre à Bamako pour une série de rencontres avec la société civile locale et la diaspora ivoirienne, alors que 49 militaires ivoiriens sont retenus au Mali et que la tension diplomatique est à son comble entre les autorités des deux pays. A son retour à Abidjan, le 22 août, elle est une nouvelle fois arrêtée, accusée d’« entente avec les agents d’une puissance étrangère de nature à nuire à la situation militaire et diplomatique de la Côte d’Ivoire ».
« Les conditions de mon incarcération étaient plus sévères que la première fois, indique-t-elle. Je ne pouvais pas recevoir de visite en dehors de ma famille. » Après cinq mois de détention, la militante est libérée le 3 février 2023 mais se voit retirer le droit de quitter le territoire national sans autorisation et de s’exprimer publiquement sur l’affaire des 49 soldats, libérés entre-temps.
Peu lui importe, semble-t-il. Depuis son apparition sur la scène publique, Pulchérie Gbalet est de tous les combats. Outre « la lutte contre le troisième mandat anticonstitutionnel en cours », elle cite « la lutte contre la cherté de la vie, la lutte pour la réconciliation et le retour d’une paix durable et la lutte pour de meilleures conditions de détention et pour le droit à la justice des détenus ». Mais aussi « la restauration d’un Etat de droit à travers la lutte contre les injustices et les abus », qui comprend en premier lieu « la lutte contre les déguerpissements abusifs ».
Pour Pulchérie Gbalet, leur récente accélération est annonciatrice d’un « désastre humanitaire programmé ». « Ce n’est pas le rôle de l’Etat, dit-elle, de mettre des citoyens dans l’insécurité sociale avec une froideur inqualifiable, au mépris de la Constitution et de tous les textes en la matière. »
Avec la Covimede-CI, elle espère proposer « à toutes les victimes et aux menacés de déguerpissement d’unir leurs capacités pour donner force à leurs revendications, dans un contexte où les pouvoirs publics ferment volontairement le dialogue et violent impunément les textes ». La militante enjoint le gouvernement de « faire respecter les plans d’urbanisme » et d’« engager une politique de décentralisation réaliste » , mais surtout de « garantir un développement inclusif ». Un combat pour lequel elle ne craint pas de retourner une nouvelle fois derrière les barreaux.
Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)
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